La chirurgie supprime la douleur et vous permet de retrouver votre liberté

La douleur ressentie par Joan H., aujourd’hui septuagénaire, s’était insinuée lentement, augmentant graduellement d’intensité, toujours plus forte avec les mois, puis les années. En fait, la douleur était devenue si familière que, pour Joan, elle était devenue « normale ». Elle avait donc trouvé des moyens ingénieux de contourner le problème : descendre les escaliers à reculons, avec soin et lentement, afin d’atténuer la douleur, ou encore éviter les petites contorsions ou mouvements que les gens font quand ils préparent un repas, car ils lui causaient des douleurs lancinantes dans les jambes.On apercevait souvent Joan, avant qu’elle ne prenne sa retraite après 30 ans de journalisme, se rendant précipitamment à une entrevue, à pied, papier et crayon en main, ou filant à toute allure dans sa MGB rouge décapotable. Elle n’a jamais perdu ce dynamisme, mais on ne la voit plus aussi souvent circuler à vive allure, et elle a dû se départir de sa MGB. Le siège du conducteur très bas, l’embrayage difficile et l’effort nécessaire pour changer de vitesse étaient devenus trop douloureux. Elle conduit maintenant une berline ordinaire, à boîte automatique, faisant remarquer qu’elle n’est certes pas aussi cool que son ancien véhicule sport.

Curieusement, les douleurs de Joan sont le résultat indirect d’une crise cardiaque. Le cardiologue de Joan lui avait prescrit, après son opération, un régime exigeant sur le plan physique : marcher 5 km en 45 minutes, et ce, 3 fois par semaine. Ce que Joan a suivi à la lettre. Mais une autre préoccupation est venue bouleverser ce régime : elle a commencé à éprouver une douleur intense à l’aine.

« J’ai graduellement remarqué une douleur pendant le premier kilomètre et demi, se souvient-elle. Je me penchais vers l’avant pour l’apaiser. Pour une raison que j’ignore, le reste du parcours était moins souffrant. » Jamais elle n’aurait pu croire que cette douleur à l’aine pouvait signifier que quelque chose n’allait pas. Des années plus tard, alors qu’on évaluait la possibilité de lui remplacer non pas une, mais les deux hanches, on lui a appris que les douleurs à l’aine sont un des premiers symptômes courants de l’ostéoarthrose à la hanche.

Une histoire connue…

L’histoire de Joan n’est pas extraordinaire : en effet, chaque année, on effectue près de 40 000 arthroplasties au Canada. Environ la moitié de ces interventions sont des arthroplasties totales de la hanche, et la majorité résultent d’une ostéoarthrose avancée, affirme le Dr Robert Bourne, professeur en chirurgie orthopédique à la University of Western Ontario. Le Dr Bourne est aussi directeur du Registre canadien des remplacements articulaires (RCRA), projet mis de l’avant à l’été 2000 pour faire le suivi du nombre d’arthroplasties du genou et de la hanche au Canada. En fait, « environ 2,5 % de la population canadienne (soit un Canadien sur 40) subissent une arthroplastie du genou ou de la hanche à un moment donné de leur vie », précise-t-il.

L’ostéoarthrose, caractérisée par une lente érosion du cartilage des articulations, entraîne 85 % des arthroplasties. De nombreux facteurs y contribuent. D’après le Dr Bourne, il y a deux types d’ostéoarthrose : l’ostéoarthrose primaire touche principalement les femmes, et ses symptômes sont généralement des jointures ankylosées et noueuses, de même que de l’arthrite à la base du pouce. Les personnes atteintes d’ostéoarthrose « souffrent souvent d’arthrite du dos, des genoux et, à moindre degré, des hanches ». À ce jour, certains facteurs génétiques demeurent inconnus, puisque ce type d’ostéoarthrose est souvent transmis génétiquement. En effet, une rare variante, appelée ostéoarthrose primaire généralisée, est causée par un défaut génétique qui entraîne la détérioration rapide du cartilage dans de nombreuses articulations. Les personnes atteintes de cette forme d’ostéoarthrose doivent souvent subir plusieurs arthroplasties alors qu’ils n’ont que la quarantaine ou la cinquantaine.

Les causes de l’arthrite secondaire vont du traumatisme (surtout ceux liés aux blessures professionnelles ou sportives) aux maladies infantiles rares, comme la maladie d’ostéochondrite de la hanche (trouble de la coagulation qui coupe l’afflux de sang à l’os et en provoque ainsi la mort). La luxation congénitale de la hanche et l’obésité augmentent aussi les risques d’ostéoarthrose, tout comme les maladies inflammatoires telles que la polyarthrite rhumatoïde, l’arthrite infectieuse et le lupus.

La grande majorité des causes primaires et secondaires de l’ostéoarthrose sont probablement dues à des blessures qui datent d’un bon nombre d’années. Parfois, on peut avoir complètement oublié le traumatisme d’origine… mais pas le cartilage. Contrairement aux autres tissus, il faut beaucoup de temps aux cartilages pour se remettre d’un traumatisme. Il arrive souvent qu’on ne puisse établir la cause précise les symptômes sont alors attribués à l’usure de l’articulation. Environ 10 % des cas d’ostéoarthrose sont dus à des maladies inflammatoires, tandis que 5 % découlent d’autres problèmes de santé.

Les arthroplasties totales de la hanche sont de plus en plus courantes en raison de la longévité moyenne accrue de la population canadienne, et le rythme de ces interventions ne peut que s’accentuer, puisque 9 millions de baby-boomers commencent à constater la fragilité de leur corps qui vieillit (la majorité souffrant d’ostéoarthrose). Des données du RCRA indiquent que, en 1994-1995, on a effectué un peu moins de 17 000 arthroplasties de la hanche au Canada, comparativement à un peu plus de 18 000 en 1997-1998. Mais, la demande sera vraiment importante d’ici une dizaine d’années, puisque les premiers baby-boomers (1947-1967) s’ajouteront aux listes d’attente.

Vous vous imaginez probablement que les arthroplasties totales de la hanche ne concernent que les personnes âgées, n’est-ce pas? Erreur. Voici la répartition des interventions selon les groupes d’âges : un peu plus du tiers (36 %) des arthroplasties totales de la hanche sont pratiquées chez les septuagénaires le deuxième groupe le plus important (27 %) est celui des 60 à 69 ans et le groupe le moins important (seulement 15 %) est celui des plus de 80 ans.

Les 22 % restants (soit environ 4 000 chirurgies par an) correspondent à des interventions pratiquées chez des Canadiens de moins de 59 ans. Et, bien qu’une partie de ces personnes aient besoin d’une intervention pour cause de maladie, nombre d’entre elles en auront besoin en raison de blessures professionnelles ou sportives. Ce groupe bénéficie en outre de percées réalisées dans la conception, puisque les prothèses sont plus stables, plus durables, ce qui leur permet de conserver un mode de vie assez actif (compte tenu de certaines limites, comme on le verra un peu plus loin dans l’avertissement de Tom McLeod).

Une douleur constante

Opter pour une arthroplastie de la hanche n’est pas chose facile, principalement parce que c’est la personne qui souffre qui décide. Selon le Dr Bourne, la majorité des gens jugent cette intervention non urgente, c’est-à-dire que c’est une chirurgie qui permet de traiter un état qui n’est pas jugé mortel. « L’arthrite est une maladie chronique. Quand la douleur est telle qu’elle n’est plus supportable, nous intervenons. Sinon, on n’incite personne à opter pour une arthroplastie. » Les urgences médicales n’ont toutefois pas toujours la même « urgence » : il y a le difficile combat associé à une chirurgie pratiquée en raison d’une maladie cardiaque ou d’un cancer. Puis, il y a le moment où une intervention « non urgente » devient une nécessité absolue si l’on veut préserver la qualité de vie du malade.

Demandez à quiconque a éprouvé des douleurs à la hanche, il vous le dira : ce n’est pas une partie de plaisir. On a du mal à dormir, on peut difficilement trouver une position confortable et la moindre contorsion, pourtant bénigne au quotidien, devient extrêmement souffrante. La qualité de vie se dégrade au point où les plus simples tâches deviennent très souffrantes et difficiles.

Dans le cas de Joan, la douleur avait pris tant d’ampleur qu’elle devait marcher avec une canne. Ses deux jambes lui faisaient mal, mais la gauche était particulièrement souffrante. Puis, elle n’a tout simplement pas pu tolérer la douleur davantage : plus possible de la nier. Elle s’est donc rendue chez son médecin. Les radiographies ont confirmé les symptômes : ostéoarthrose des deux hanches. On a donc aiguillé Joan vers un spécialiste en arthrite (c’est-à-dire un rhumatologue), qui lui a prescrit des anti-inflammatoires.

Joan n’est pas une personne sensible pourtant, elle grimace au simple souvenir d’une douleur particulièrement puissante et soudaine qui avait nécessité une injection de cortisone. On a injecté ce stéroïde, aux grandes vertus anti-inflammatoires, directement dans l’articulation de la hanche : « J’ai mordu dans mon poignet quand on m’a fait l’injection, puisque, en plus de la douleur dans l’articulation, l’injection en tant que telle était extrêmement souffrante. »

Joan s’est donc mise à passer plusieurs heures par semaine à l’hôpital local, où elle était traitée par des physiothérapeutes et avait droit à de petits séjours dans une piscine chauffée. « L’eau chaude me soulageait, mais ça ne durait pas bien longtemps », explique-t-elle. La douleur était lancinante. « Il y a des jours où la douleur s’apparentait à une rage de dents, rayonnant de la hanche à la cheville. Je ne pouvais tout simplement plus me pencher pour me laver les pieds. » On a bien parlé d’opération, mais
Joan ne se sentait pas prête. Elle avait ce besoin inné de se battre et de vaincre. Elle a pourtant dû se départir de la MGB et se contenter d’une berline automatique.

Pour descendre les escaliers, Joan s’est inspirée de sa famille : « Je me souviens d’avoir vu faire ma grand-mère quand j’étais enfant. Elle descendait les escaliers à reculons, mais je ne m’étais jamais souciée de ce détail, jusqu’à aujourd’hui. Elle aussi devait souffrir d’ostéoarthrose de la hanche, mais, dans les années 30, on ne pouvait rien y faire. » À quelques reprises, quand la douleur était vraiment insupportable, Joan a dû monter à quatre pattes.

Finalement, Joan a subi deux arthroplasties de la hanche, à dix jours d’intervalle. Normalement, les gens qui ont besoin de deux arthroplasties subissent les chirurgies à un plus grand intervalle, mais Joan ne fait jamais les choses à moitié, quand elle le peut. « J’adore mes nouvelles hanches! Elles sont géniales! », affirme-t-elle. Sa grand-mère lui donnerait probablement son approbation.

Le degré d’invalidité avant une arthroplastie totale de la hanche varie selon la personne. Erwin M., âgé de 44 ans, a subi son opération l’été dernier. Il a expliqué que, avant son opération, sa capacité à marcher variait pendant la journée, mais il avoue que la douleur le freinait passablement : « Je marchais comme un homme de 90 ans. » D’après son orthopédiste, le Dr John Antoniou, de l’Hôpital général juif, à Montréal, il est temps d’envisager la chirurgie quand les autres moyens non intrusifs, comme les analgésiques, la physiothérapie et les injections de cortisone, ne permettent plus de soulager la douleur et que la qualité de vie du malade est gravement réduite. « Quand on a du mal à faire ses tâches quotidiennes, il est temps de se tourner vers la chirurgie », déclare-t-il.

On se dépêche, pour mieux attendre!

Une fois que vous aurez décidé de subir une arthroplastie totale de la hanche, ne vous attendez pas à ce que cela se fasse du jour au lendemain. D’abord, vous devez consulter votre médecin de famille, qui vous aiguillera vers un orthopédiste. La liste d’attente de nombre d’orthopédistes pour cette première consultation est déjà très longue. Certains croient que cette situation est en partie due à la pénurie d’orthopédistes au Canada. Dans les années 80, afin de faire des économies, le gouvernement a réduit le nombre de places dans les programmes de médecine, ce qui s’est traduit par un nombre restreint de diplômés et une pénurie d’orthopédistes compétents, des années 90 à aujourd’hui. La pénurie n’a pas seulement touché l’orthopédie, mais aussi l’anesthésiologie, une autre spécialité essentielle aux interventions chirurgicales. On a récemment constaté une hausse du nombre de places dans les écoles de médecine, mais il faudra attendre des années avant de combler tout ce retard, les médecins plus âgés partant à la retraite au rythme de l’arrivée des diplômés sur le marché du travail.

Le fait que certains chirurgiens soient réputés est un autre facteur contribuant aux longues périodes d’attente, puisque leurs listes d’attente s’allongent. Une enquête du RCRA sur les listes d’attente en orthopédie en Ontario a permis de constater que, bien que certains chirurgiens puissent opérer les malades dans un délai d’un mois, il faut attendre jusqu’à deux ans pour être opéré par d’autres. La durée moyenne de l’attente entre la première rencontre et la chirurgie est de neuf mois, selon le Dr Bourne. « Si un orthopédiste est bien connu [dans une collectivité], certaines personnes insistent pour que ce soit lui qui les opère et acceptent d’attendre plus longtemps pour leur arthroplastie de la hanche.»

Après sa rencontre avec l’orthopédiste, on effectue d’autres examens et évaluations avant de prendre une décision ferme quant à l’arthroplastie de la hanche touchée. Parmi ces examens, mentionnons des radiographies de la poitrine, afin de s’assurer que le cœur et les poumons sont en bon état, un électrocardiogramme et des analyses de sang, au cas où une transfusion serait nécessaire. On effectue d’autres examens chez les personnes atteintes d’autres troubles ou maladies chroniques, afin de s’assurer qu’elles peuvent résister au stress et aux risques de la chirurgie. (Voir « Sur le chemin de la guérison » pour de plus amples renseignements sur les préparatifs avant la chirurgie.)

Des hanches d’acier… et pourquoi pas de titane?

On décrit généralement l’articulation de la hanche comme une énarthrose. Le fémur a une tête ronde qui se loge parfaitement dans une cavité (acétabulum ou cotyle) formée par plusieurs os soudés ensemble et qui composent le bassin.

Soyons francs : personne ne peut dire que l’arthroplastie de la hanche est une intervention simple. Il faut enlever la tête du fémur et la remplacer par une autre en métal, habituellement du titane ou un alliage cobalt-chrome. La prothèse ressemble à une tête de fémur, c’est-à-dire une structure semblable à une rotule attachée à une longue tige qui se loge parfaitement dans le fémur.

Elle comprend aussi un cotyle en métal (habituellement en titane) qui est ancré au bassin avec des vis. La garniture du cotyle artificiel est en général faite d’un plastique polyéthylène haute densité afin de réduire la friction quand les pièces de la prothèse sont en mouvement, par exemple quand la personne marche ou fait d’autres activités.

Les fabricants de prothèses proposent plusieurs modèles, qui ne diffèrent les uns des autres qu’à quelques détails près. Les orthopédistes ont souvent des préférences et il est habituellement plus sage de respecter leur choix. « C’est la prothèse que l’orthopédiste juge la meilleure, et c’est celle qu’il a l’habitude d’utiliser », explique le Dr Antoniou. La seule différence qui soit digne de mention entre les prothèses, c’est la façon dont elles sont ancrées au fémur. Il y en a une qui est cimentée, alors que l’autre repose sur la tendance naturelle des os à remplir les cavités. Toutefois, il n’y a pas vraiment de choix à faire, puisque chaque prothèse est conçue en fonction d’un emploi précis.

Joan H. a une prothèse cimentée. Ce type de prothèses comprend une tige lisse qui est maintenue en place dans le fémur grâce à du méthacrylate de méthyle (ciment chirurgical). Cette « colle époxy » non toxique est injectée dans le fémur, où elle lie rapidement la tige de la prothèse à l’os.

Les prothèses cimentées sont généralement posées aux malades plus âgés. Il y a deux explications à cela : Comme la majorité des malades qui subissent une arthroplastie totale de la hanche sont septuagénaires, on s’attend à ce que la prothèse ait une durée de vue supérieure à celle du malade. On peut certes juger qu’il s’agit là d’un calcul insensible, mais il y a aussi une considération plus pratique : le lien rapide et solide qui se crée entre la prothèse et l’os permet aux malades, une journée après l’opération, de marcher sur de petites distances. Il s’agit d’un facteur important pour les malades âgés, puisqu’ils peuvent rapidement perdre beaucoup de masse musculaire s’ils sont confinés trop longtemps au lit. Il y a peu d’avantages à subir une arthroplastie si on n’a pas la force de marcher.

En revanche, Erwin M. a reçu une prothèse non cimentée, avec une tige texturée ou poreuse, ce qui permet au tissu osseux qui l’entoure de se développer et de remplir les pores, maintenant ainsi la prothèse en place. On opte généralement pour ce type de prothèses quand on souhaite créer un lien qui résistera mieux aux forces mécaniques. C’est pourquoi on réserve habituellement les prothèses non cimentées aux malades plus jeunes, qu’on juge plus actifs. À 54 ans, Erwin correspond à ce groupe de malades. Mais, Erwin a vite réalisé qu’un tel avantage n’est pas gratuit : il faut au moins six semaines après la chirurgie avant de pouvoir se porter de tout son poids sur sa hanche.

On a appris à Joan à marcher avec sa nouvelle hanche, avec l’aide du personnel de l’hôpital ou avec une marchette, dès le lendemain de sa première arthroplastie, puis on l’a incitée à continuer. En fait, dans la majorité des cas, les thérapeutes se présentent dans la chambre du malade dès le lendemain de la chirurgie pour prodiguer des conseils au malade et l’aider à accomplir différents mouvements de base, comme s’asseoir et sortir du lit. Dans le cas d’Erwin, il a plutôt dû se servir de béquilles pendant six semaines : « Je ne devais pas mettre plus de 30 % de mon poids sur ma jambe et, croyez-moi, ça n’a pas été facile de se déplacer aussi longtemps en béquilles. » Le bon sens veut que, après une arthroplastie totale de la hanche, le malade réduise ses activités, surtout celles qui entraînent un effort mécanique très intense pour l’articulation, comme le jogging, le ski alpin ou les sports de contact. Certains malades plus jeunes qui subissent une arthroplastie ont de la difficulté à freiner leur combativité ou encore à admettre que l’on puisse profiter de la vie à un rythme un peu plus lent. Mais qu’importe! La majorité des spécialistes en réadaptation (c’est-à-dire les physiothérapeutes et les ergothérapeutes) sont prêts à relever le défi si une personne tient à s’investir dans un sport. L’orthopédiste pose la prothèse, mais c’est le thérapeute, le spécialiste de la réadaptation, qui aide la personne à se remettre sur pied et à reprendre ses activités quotidiennes.

Dans la salle d’opération

Peu de personnes, pour ne pas dire aucune, peuvent affirmer que la chirurgie ne les effraie pas. Erwin dit qu’il a été soulagé de constater que l’hôpital offrait l’équivalent d’un cours préparatoire aux personnes qui vont subir une intervention afin qu’elles puissent s’y préparer mentalement : « J’ai parlé à tous les membres de l’équipe chirurgicale. » Ils lui ont expliqué, étape par étape, à quoi il devait s’attendre et étaient disponibles pour répondre à ses questions. En effet, les physiothérapeutes, les infirmières (responsables de la gestion de la douleur), les ergothérapeutes et, bien entendu, son orthopédiste, le Dr Antoniou, ont tous pris part à ces efforts de sensibilisation.

La préparation du malade et les programmes de sensibilisation varient beaucoup d’un hôpital à l’autre. Beaucoup d’entre eux offrent des dépliants informatifs aux malades, alors que d’autres leur prêtent des vidéos explicatives, bien que ce ne soit pas fréquent. Et, bien entendu, il y a Internet, qui permet d’accéder à un très large éventail de renseignements.

Il est certain que le fait de se renseigner sur les risques inévitables fait partie de la préparation. Bien que votre orthopédiste ait déjà réalisé des centaines d’arthroplasties, aucune intervention chirurgicale n’est tout à fait sûre. L’infection de la plaie opératoire, une hémorragie grave et les dommages neurologiques (généralement liés au nerf sciatique) causés par l’opération constituent les risques les plus évidents. Chez certains malades, il y a risque de pneumonie, surtout s’ils ont déjà eu des maladies pulmonaires. Il peut même y avoir une légère modification de la longueur de la jambe après l’opération.

La formation de caillots est l’une des principales inquiétudes associées à ce type de chirurgies, voire à toute chirurgie majeure. On appelle thrombose veineuse profonde la formation de caillots pouvant se loger dans une veine principale, dans une jambe, par exemple. L’embolie pulmonaire, autre problème de coagulation, correspond quant à elle à la formation de caillots dans les poumons. On surveille les malades de près au cours des premiers jours suivant la chirurgie, période critique en termes de formation de caillots, comme Erwin s’en est rendu compte. Un caillot s’est en effet formé dans sa jambe, ce dont on s’est aperçu alors qu’il était encore à l’hôpital. « On a remarqué que quelque chose n’allait pas et on m’a rapidement transféré dans une autre salle pour m’examiner », se souvient-il. Le personnel a alors fait appel à un appareil ultrasonique appelé Doppler. « On a remarqué la présence d’un caillot dans ma jambe gauche et on m’a immédiatement donné des médicaments pour l’éliminer », précise-t-il.

Plusieurs semaines après la chirurgie, on peut constater chez certaines personnes une production excessive de tissu osseux à la hanche, un état appelé ossification hétérotopique. Ce mystérieux surplus osseux peut limiter la mobilité et se forme généralement dans les six semaines suivant la chirurgie. On ne connaît pas la cause de ce phénomène rare. Il peut aussi y avoir luxation postopératoire de la hanche, ce qui est habituellement dû à des faux mouvements faits dès les premiers jours. « On devrait limiter ses mouvements et ne pas essayer de trop en faire. On doit suivre les directives du physiothérapeute », explique le Dr Antoniou. Il ajoute que, bien que tout cela soit plutôt inquiétant, il y a de bonnes nouvelles : en effet, il s’agit de complications rares, constatées dans moins de 1 % de toutes les premières arthroplasties.

La nécessité de recourir ou non à une transfusion sanguine est une préoccupation courante. « Quand il s’agit d’une première arthroplastie, le malade n’a pas nécessairement besoin d’une transfusion et, le cas échéant, une seule unité de sang peut être suffisante. Nous demandons souvent aux malades de donner leur sang, affirme le Dr Antoniou. C’est la Société canadienne du sang ou HÉMA-QUÉBEC qui supervise cette étape. » Votre orthopédiste devrait normalement aborder cette question avec vous avant l’opération. On appelle « transfusion sanguine allogénique » tout don de sang fait par un malade en prévision de son intervention chirurgicale.

« Les personnes qui doivent subir une deuxième arthroplastie de la hanche, une reprise chirurgicale de la première ou dont le cas est plus complexe auront besoin de deux à trois unités de sang pendant la chirurgie. Nous leur demandons donc d’en donner davantage », précise le Dr Antoniou.

Mais, après tous ces préparatifs, il ne faut pas oublier que l’arthroplastie d’une hanche en tant que telle ne dure que d’une heure à une heure et demie environ.

Rétablissement

Pour Erwin, ce n’est pas de se faire conduire dans la salle d’opération en fauteuil roulant qui a été pénible, mais plutôt de se retrouver dans la salle de réveil immédiatement après l’arthroplastie. En effet, ce fut pour lui la période la plus solitaire et effrayante de toutes, et ce, même si elle n’a duré que trois heures : « Il faut rester allongé, et on est paralysé de la hanche aux orteils. » La paralysie est un effet temporaire, jusqu’à ce que l’action de l’anesthésie par blocage nerveux, utilisée pour l’opération, s’épuise. « Et on ne peut pas sortir de là tant que l’on n’arrive pas à bouger les orteils. »

Erwin a trouvé d’autres aspects désagréables, dont le fait d’avoir un tube à oxygène dans le nez. On laisse ce tube au malade de deux à trois heures après l’intervention afin de l’aider à maintenir une bonne oxygénation. Même si Erwin était sonné, on lui a demandé de tousser fréquemment afin de bien dégager ses poumons et, ainsi, de réduire les risques de pneumonie. Erwin s’est aussi plaint d’un atroce mal de tête, ce qui n’est par contre pas courant.

Après le supplice de la salle de réveil, on a transféré Erwin dans une chambre, où il a passé ses premières nuits après la chirurgie. Séjour qu’il a par ailleurs trouvé pénible, en partie à cause de la douleur. « La plaie ne fait pas mal en soi c’est la hanche qui élance. » Il trouvait tout de même qu’il s’agissait d’une « bonne » douleur, puisque c’était celle de la guérison il savait qu’elle s’estomperait avec le temps. Le séjour postopératoire est généralement de 3 à 5 jours seulement.

La réaction à la chirurgie dans les premiers jours varie selon le malade, certains ayant plus de facilité que d’autres à se rétablir. La réaction de chacun dépend de nombreux facteurs, dont l’âge, la condition physique avant l’intervention et tout autre problème de santé, de même que les médicaments ou remèdes galéniques que prend le malade (on peut lui demander d’arrêter de les prendre avant la chirurgie). Une attitude positive contribue aussi au rétablissement. Pensez seulement à quel point il sera plus facile de marcher une fois rétabli et que la douleur s’estompera dans les jours à venir.

Reprise chirurgicale

Après dix ou quinze ans, vous figurerez peut-être parmi les quelques malchanceux qui devront passer de nouveau au bistouri pour une autre arthroplastie. On estime que de 10 à 12 % des personnes opérées doivent subir une reprise chirurgicale, c’est-à-dire qu’on doit remplacer leur prothèse, en raison de l’usure ou parce que le mécanisme est devenu lâche. Mais, il faut généralement compter dix ans au moins avant qu’une reprise chirurgicale soit nécessaire, affirme le Dr Bourne. Et la technologie à l’origine des prothèses ne cesse de s’améliorer, ce qui signifie que plus celles-ci sont récentes, plus elles devraient durer longtemps.

Il s’était écoulé exactement dix ans, ou presque, quand la hanche de Martin W. s’est relâchée. On a donc dû la lui remplacer et, treize ans plus tard, il a dû subir une autre reprise chirurgicale.

Après une longue période, les prothèses tendent à se relâcher, car les particules de la garniture en plastique de la prothèse ou celles du ciment retenant la tige de la prothèse s’usent. Le système immunitaire traite ces particules comme des corps étrangers et déclenche une réaction inflammatoire locale. C’est ce qu’on appelle l’ostéolyse, sujet de nombreuses recherches, puisqu’il s’agit du principal facteur limitatif du cycle de vie de la prothèse. Parmi les autres facteurs de reprise chirurgicale, mentionnons les infections touchant la hanche et un choc violent entraînant une fracture, bien que ce soit rarissime.

Martin souligne qu’il y a eu de grands changements entre les deux premières interventions qu’il a subies et la dernière : « En 1977, il s’agissait d’une nouvelle intervention et c’était toute une affaire. J’ai passé deux semaines à l’hôpital, puis quatre autres dans une maison de convalescence. » Après de longues années, la prothèse s’est relâchée et les douleurs dans la jambe sont revenues. Quand le simple fait de marcher est devenu une corvée, Martin a subi sa première reprise chirurgicale. C’est le Dr Bourne qui a dirigé sa deuxième reprise chirurgicale, en mars 2000. « Je ne suis resté que quatre jours à l’hôpital, puis je suis retourné chez moi. C’était bien différent d’il y a 23 ans comme expérience », affirme-t-il.

Le fait que Martin a pu choisir entre une rachianesthésie et une anesthésie générale, ce qui signifie qu’il pouvait être conscient pendant l’opération, est une autre différence. Martin a d’ailleurs choisi de rester éveillé pendant l’intervention, car il voulait éviter l’expérience du réveil, souvent pénible : « Je ne crois pas qu’une rachianesthésie convienne à tout le monde. Ce n’est pas tout le monde qui veut être témoin de ce qui se passe. » En effet, Martin entendait tout et parlait avec les intervenants autour de la table d’opération, bien qu’il n’ait pas vu l’intervention en soi. « Ils ont mis un rideau juste devant mon visage, alors je ne pouvais pas voir. »

À son retour à la maison, il a décidé de ne pas faire de physiothérapie. Bien qu’on lui ait offert et recommandé ce service, il a refusé : « C’était trop compliqué de me rendre à l’hôpital. » Et puis, il était déjà passé par là et connaissait bien les exercices.

Autant d’interventions chez une même personne n’est pas chose courante. Pourtant, au bout du compte, les personnes opérées peuvent s’attendre à au moins une reprise chirurgicale si elles étaient « jeunes » au moment de leur première arthroplastie totale de la hanche. Ces personnes tendent en effet à survivre à la durée de vie utile de leur prothèse. Il faut aussi tenir compte du fait que les malades plus jeunes sont simplement plus actifs et font subir davantage d’efforts à leur hanche que les malades plus âgés – comme Tom M., qui aime bien bricoler quand il n’est pas au travail.

Bien qu’il ne soit pas le champion mondial de l’arthroplastie de la hanche chez les 60 ans et moins, Tom, 58 ans, n’en demeure pas moins un sérieux candidat au titre : il en a subi 6, soit 3 par hanche. La malchance (« Je suis tombé d’un échafaudage et j’ai littéralement fait le grand écart en touchant le sol. »), un développement précoce de l’ostéoarthrose (en raison du traumatisme subi par ses hanches) et une vie bien remplie (bricoleur un jour, bricoleur toujours), de même que des complications vasculaires (ostéonécrose), ont tous contribué à en faire un client régulier de la salle d’opération.

À 40 ans, on lui avait déjà remplacé les deux hanches. Dix ans plus tard, il a subi une reprise chirurgicale à la hanche droite, puis a souffert d’une paralysie temporaire du pied droit. Quinze ans plus tard, il avait subi trois autres reprises chirurgicales. L’ostéonécrose a sûrement grandement favorisé ces interventions. Il y a ostéonécrose ou « mort de l’os » quand le sang ne se rend plus à l’os. Privé de sang, le tissu dépérit et devient friable. L’âge de Tom est un autre facteur important : « J’ai été un peu plus actif que l’avaient conseillé les médecins, avoue-t-il. Et j’adore rénover la maison. J’ai donc fait quelques modifications, comme l’installation de nouvelles pierres pour la terrasse. » Et si c’était à refaire, Tom n’hésiterait pas une seconde. La chirurgie, c’est une partie de plaisir en comparaison de la douleur chronique et du handicap.

Risques associés à la reprise chirurgicale

« La reprise chirurgicale est une intervention beaucoup plus difficile que la pose de la première prothèse, explique le Dr Bourne. Alors que la première arthroplastie ne dure qu’une heure environ, une reprise chirurgicale demande habituellement quatre fois plus de temps. Et elles ne sont pas exemptes de risques. La perte de sang est deux fois plus importante et les risques de décès sur la table d’opération ou de complications augmentent drastiquement. Toute structure près de l’os risque d’être touchée par les instruments chirurgicaux, dont les tendons, les muscles, les nerfs et la peau. Aussi, plus la personne est âgée, plus les risques sont importants, surtout si elle souffre au départ d’une maladie ou d’un état chronique comme une maladie cardiaque ou le diabète. On doit donc bien évaluer ses risques. Il est certain que l’on peut déjà prendre ces risques pour maintenir son indépendance et sa qualité de vie, alors on peut se dire qu’on n’a pas vraiment le choix.

Si l’on compare une première arthroplastie totale de la hanche à l’ébénisterie, la reprise chirurgicale s’apparenterait davantage à la charpenterie. D’abord, on doit enlever la vieille prothèse, puis tout le ciment. Dans le cas des prothèses poreuses, on doit enlever le tissu osseux qui s’est formé sur la prothèse. Le fait que l’orthopédiste doive aussi enlever tous les petits débris, souvent de la taille d’une écharde, causés par l’usure normale de la prothèse est un autre facteur influant sur la durée de l’intervention. S’il laissait ces particules dans la hanche, elles continueraient de causer une réponse inflammatoire locale, rendant ainsi presque impossible la solidification de l’ancrage de la nouvelle prothèse.

La recherche de matériaux encore plus résistants et biocompatibles (moins susceptibles d’engendrer une réaction immunitaire) pour les prothèses est constante. Donc, si vous devez subir une reprise chirurgicale, la bonne nouvelle, c’est qu’il existe de nouveaux matériaux, comme le polyéthylène réticulé haute densité, qui sert de garniture à la prothèse, ou encore les ciments utilisés. Ceux-ci ont une durée de vie prévue supérieure aux matériaux employés il y a quelques années seulement. Ainsi, les personnes âgées qui subissent aujourd’hui une première arthroplastie de la hanche ont de bonnes chances d’éviter une reprise chirurgicale. « Personnellement, je crois que, grâce aux techniques et matériaux modernes, environ 95 % [des malades] auront leur prothèse sans problème pendant 10 ans, et que 5 % auront besoin d’une reprise chirurgicale », affirme le Dr Bourne. Après 10 ans, les risques augmentent et le taux annuel de défaillance des prothèses sera de 1 ou 2 %. « Après 20 ans, il y aura probablement de 15 à 20 % des personnes qui devront subir une reprise chirurgicale. »